Tauaki, natte-jupe de Wallis

Les objets du mois
Objet du mois de
Juin
Cette natte-jupe "tauaki" a été collectée par Cécile Varin à Uvea, en 1960, lors d’un séjour de trois mois à Futuna chez son ami, le peintre Nicolaï Michoutouchkine (1929 – 2010). Ce spécimen fait partie d’un ensemble de trente-huit pièces de tapa, nattes et autres objets acquis par le musée de Nouvelle-Calédonie en 2013.
MNC 2013.1.7
Longueur : 185 cm ; largeur : 162 cm ; Poids : 330 g
Matières : Pandanus tectorius var. laevis, teinture d’origine synthétique (couleurs bleu et magenta)
Techniques : tressage, teinture

Le pandanus ou Pandanus tectorius est l’une des plantes indispensables pour les populations océaniennes et occupe une place importante dans leurs mythes, récits, chants et expressions. De la famille des Pandanacées et du genre Pandanus Parkinson, le Pandanus tectorius est répandu dans tout le Pacifique, dans le nord de l’Australie, en Asie du sud-est et dans certaines îles de l’Océan Indien. C’est un « arbuste » composé d’un tronc ligneux se ramifiant en un bouquet de branches portant de longues feuilles en rosette. Il est solidement ancré dans le sol par des racines-échasses. Ses feuilles en forme d’épée et bordées d’épines la plupart du temps sont légèrement courbées. Il existe une centaine de variétés de Pandanus tectorius poussant à l’état sauvage ou cultivées, dont certaines sont communes à toute l’Océanie et d’autres spécifiques à certaines régions. Au même titre que l’ « arbre roi » en Océanie, c’est-à-dire le cocotier, le pandanus est une plante aux multiples usages. Ses feuilles et ses racines aériennes très fibreuses et souples sont utilisées dans la fabrication de nombreux ouvrages artisanaux. Son tronc, découpé en lattes, peut servir pour faire les murs et les cloisons des habitations et ses fruits peuvent être consommés crus ou cuits. Le pandanus fait aussi partie de la panoplie de plantes médicinales dans certaines îles d’Océanie.

À Uvea, le nom employé généralement pour désigner le pandanus est ou fala. « Fala » est aussi le terme générique attribué aux nattes. De nombreuses variétés de pandanus domestiquées ou sauvages sont employées pour la confection de nattes. Pour cet ouvrage réservé aux femmes, il existe deux catégories de pandanus : le lau ‘akau  et le lau kie qui distinguent en fait deux techniques différentes de préparation des feuilles de pandanus.

Le lau ‘akau fait référence aux feuilles de pandanus coupées et séchées directement au soleil  et qui conservent ainsi leur couleur brunâtre naturelle. Il peut provenir de plusieurs variétés de pandanus, hormis le , Pandanus tectorius solander. Ce dernier pousse dans les landes de fougères de Wallis désignés localement « Toafa ». Les feuilles de sont utilisées uniquement pour la fabrication de tuiles couvrant la toiture des fale ou habitats traditionnels.

Le lau kie, quant à lui, est fait à partir d’une seule variété de pandanus : le Pandanus tectorius var. laevis. Sa préparation est très particulière et comprend plusieurs étapes décrites par Sofia Tolofua, une ancienne du village de Vaitupu (Hihifo, au nord d’Uvea) :

- Les feuilles de pandanus sont arrachées ou coupées, puis, on enlève délicatement les piquants à l’aide d’un couteau.

- Fendues au milieu, les feuilles sont ensuite enroulées de sorte à obtenir des rouleaux.

- On prépare le gutu ‘umu (« gutu » : « bouche » ; « ‘umu » : « le four ») ou four traditionnel, puis on met les rouleaux de pandanus verts à l’intérieur avant de le couvrir pour laisser cuire les feuilles pendant presque trois heures.

- A l’ouverture du gutu ‘umu, les feuilles sont déroulées et trempées dans la mer, bloquées avec des pierres de sorte qu’elles restent immergées constamment. Cette étape qui consiste à blanchir les feuilles de pandanus doit durer une semaine.

- Au terme, les feuilles sont rincées à l’eau douce puis mises à sécher au soleil.

Le résultat fini de ce labeur est l’obtention de feuilles de pandanus très minces d’une couleur ivoire.

La natte exposée ce mois-ci a été tressée ou lālaga à l’aide de lau kie. Le tressage des nattes d’Uvea se fait soit en laga lōtahi, c’est-à-dire en une seule épaisseur,-ce qui est le cas de notre natte-, ou en laga lōlua, en double épaisseur avec à chaque fois, une lanière de lau akau et une autre de lau kie accolées. Le tressage qui se fait généralement de manière oblique, suit un procédé consistant à passer au fur et à mesure les brins de pandanus par-dessus et par-dessous un certain nombre de brins placés perpendiculairement. Certaines combinaisons vont aboutir à l’apparition de motifs de tressage élaborés que l’on fait ressortir avec l’usage de lanières de lau kie colorées comme ici. On a vu l’apparition de nouveaux matériaux comme le bolduc venus remplacer le lau kie dont la fabrication est devenue rare. Il semble que les nattes colorées soient une invention récente datant des premières années du XXème siècle et que la seule couleur utilisée autrefois était le noir que l’on obtenait en plongeant les feuilles de pandanus dans la boue provenant des lits de petits cours d’eau stagnants. Ce pandanus de couleur noir servait alors à confectionner un type de natte particulier appelé le tauaki uli, jupe portée uniquement par les personnes de rang élevé. D’après Burrows, ethnologue de l’Université de Honolulu qui a fait un séjour à Uvea et à Futuna dans les années 1930, l’absence de nattes colorées à Futuna, une île « dans laquelle de nombreux traits polynésiens primitifs ont été conservés » appuie cette supposition. 

Il existait différentes sortes de nattes à Uvea (Burrows en a comptabilisé une dizaine) dont la plupart ne sont malheureusement plus confectionnées aujourd’hui comme par exemple le tauaki uli ou encore le pahapaha destiné aux nouveau-nés. D’après notre personne ressource, notre natte frangée est un tauaki. Le terme « tauaki » correspondait autrefois à un type de natte-jupe particulier confectionné à l’aide de lau ‘akau non coloré, orné de franges. Aujourd’hui, il est employé pour désigner les nattes-jupes de manière générale dont la taille varie selon la nattière  et comportant parfois des franges en fils de laine.

Le tauaki est porté par-dessus l’habit formel lors des cérémonies coutumières et religieuses pour marquer le respect, faka’apa’apa, envers les autorités du fenua ou du pays présents. Il fait aussi partie des richesses de femmes ou koloa fakafafine échangées lors de cérémonies rituelles.

tauaki (c) musée de NC / Ariadne Briseul
À droite, une femme portant un tauaki –
Cérémonie du to’okava par les gens du village de Falaleu (Hahake, au centre d’Uvea) lors de leur fête paroissiale (15 août) /
Devant le fale hau, Palais royal, Hahake, Uvea – © Ariadne Briseul