"Siapo ēlei" ou tapa provenant des îles Samoa

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Mars
Ce "Siapo ēlei" ou tapa provenant des îles Samoa a été donné au musée par l’Institut d’Emission d’Outre-mer de Nouvelle-Calédonie
MNC 2018.11.1
Longueur : 207 cm ; largeur : 153 cm
Matières : mûrier à papier (Broussonetia papyrifera), Bischofia javanica, bancoulier (Aleurites moluccana)
Techniques : battage, estampage
La fabrication du tapa est un savoir-faire partagé par la plupart des peuples océaniens. Fait à partir de l’écorce de certains arbres, le plus utilisé dans ce grand ensemble géographique et culturel est le mûrier à papier dont on situe l’origine en Asie du sud-est. Ce sont les voyageurs austronésiens qui ont commencé à peupler l’Océanie il y a 3 000 ans qui transportèrent « la plante à tapa » à bord de leurs pirogues, et certainement l’art de fabriquer et d’orner ces étoffes d’écorces.
Situées au milieu du plus grand océan, les îles Samoa, comme les îles Tonga, Fidji, Wallis, Futuna, sont connues pour leurs tapa aux décorations très élaborées et aux dimensions plus importantes que dans le reste de la région. Aux Samoa, le terme générique employé pour désigner les tapa est « siapo ». Le traitement de la matière première est assez similaire partout en Océanie. C’est le liber qui est enlevé au corps ligneux du mûrier à papier, u’a, puis posé sur une enclume de bois, tutua, et battu jusqu’à élargissement à l’aide d’un maillet, i’e. On distingue deux types de siapo selon la manière de les décorer: le siapo mamanu, peint à main levée, sans traçage préalable, et le siapo ēlei ou siapo tasina, reproduisant l’empreinte négative de bandes de motifs répétées plusieurs fois à l’aide d’une matrice ou ‘upeti. Le siapo exposé ci-contre est un siapo ēlei ou siapo tasina. Deux sortes de matrices ou ‘upeti sont utilisées à Samoa : une plus ancienne et faite à partir de feuilles de pandanus et de nervures de feuilles de cocotier ou de baguettes en bambou, avec des motifs constitués en relief, et l’autre, plus récente, sous forme de planche rectangulaire en bois, gravée avec les motifs en intaille. Les ‘upeti en bois ont été introduites dans les îles Samoa à partir des années 1920 depuis les îles Fidji, bien qu’elles soient originaires de Tonga. Ces plaques qui ont remplacé progressivement les matrices végétales témoignent des relations très étroites entre ces îles. A Samoa, la fabrication des siapo a toujours été un travail de femmes mais on peut dire que les hommes ont leur part aujourd’hui dans ce labeur puisque c’est eux qui sont chargés de graver ces planches en bois. Les pigments utilisés pour la teinture sont d’origine naturelle. Le noir et l’ocre (brun-ocre et rouge-ocre) sont les seules couleurs utilisées pour la décoration d’un siapo ēlei. Le jaune et le rouge sont employés seulement pour la teinture des siapo mamanu en plus du noir et de l’ocre. Le noir est issu de la suie résultant de la combustion des amandes des noix du bancoulier, lama (Aleurites moluccana) ; le brun-ocre provient de l’écorce du Bischofia javanica, o’a ou de celle du palétuvier, togo (Rhizophora mucronata) ; le rouge-ocre est quant à lui issu d’une argile rouge appelée ēle que l’on ne trouve que dans certains endroits sur l’île d’Upolu (Samoa occidentales) et de Tutuila (Samoa américaines). C’est le nom de cette terre argileuse qui a donné l’appellation « siapo ēlei ». Ici, dans notre siapo, deux teintes uniquement sont présentes: les motifs de la matrice ont été estampés à l’aide de la teinture à base de o’a, puis les contours repassés et quelques motifs dessinés à main levée à l’aide d’un pinceau en fruit de pandanus enduit de lama.

Certains siapo sont décorés à l’aide de deux ‘upeti mais l’ornementation de notre siapo a été réalisée avec une seule matrice. C’est le même motif qui est répété dix fois. La taille de la matrice utilisée est de 75 cm x 40 cm.

Siapo Elei détail 1
Une empreinte négative de la matrice ou un potu
Détail du siapo ci-contre © MNC

 

Une empreinte de matrice est appelée potu. Les siapo ēlei  sont aussi composés de deux catégories : les siapo vala et les siapo pupuni. Les siapo vala, comme celui-ci, sont composés de huit ou de dix potu, tandis que les siapo pupuni, de plus grande taille, comportent cinquante potu.  Le siapo pupuni était utilisé autrefois comme rideau pour créer de l’intimité à l’intérieur des habitations traditionnelles, fale, habituellement ouvertes, et servait aussi de couvre-lit, de moustiquaire ou encore de linceul.

Siapo Elei du musée
Le motif de matrice ‘upeti appliqué dix fois dans le sens de la largeur. Ce siapo ēlei est un siapo vala comportant dix potu. © MNC

 

Les motifs sont toujours inspirés d’éléments naturels tels que les plantes, les animaux marins et terrestres. Le répertoire des motifs de siapo est le même que celui du tatau, tatouage.

 

Voici quelques noms de motifs repérés sur notre siapo vala :

1 et 1’ : Fa’amasina, (« fa’a », « à la manière de » ; « masina », « lune ». Il s’agit aussi du motif représentant le rouleau de feuilles de pandanus)

2 : Fa’a’ali’ao, (« ‘ali’ao », « trocas »)

3 : Fa’apaoga, (« paoga », « fougère »)

 

Le siapo vala (« vala », « jupe ») a une fonction vestimentaire. On raconte que dans les temps anciens, le siapo était exclusivement porté par des jeunes filles de haut rang ou taupou, et des fils de chefs, manaia. Mais, avec l’arrivée de la religion qui ne voyait pas la nudité d’un bon œil, progressivement tous les Samoans se vêtirent de siapo. Si le siapo pupuni enveloppait le défunt, le siapo vala accueillait le nouveau-né. Au fil des contacts avec l’Occident, les étoffes européennes vont prendre de plus en plus de place et finiront par remplacer les habits en tapa au quotidien. Aujourd’hui, ces derniers ne se portent plus que pour les grandes occasions.

De nos jours, aux îles Samoa, les siapo sont confectionnés principalement pour les échanges cérémoniels mais aussi pour satisfaire la demande en tant qu’objets de décoration.

Carte postale de Samoa des collections du MNC
Jeune fille samoane portant un siapo vala et derrière elle, un siapo pupuni décore le studio photo. c. 1900
© Coll. de cartes postales du MNC inv. Mnc 2016.7.7.19/ MNC