Représentation d’une scène de pilou réalisée par un bagnard

Les objets du mois
Objet du mois de
Novembre
Une scène de pilou kanak réalisée par un bagnard à la fin du XIXème siècle et donnée au musée par Monsieur Jean Guiart
MNC 2018.13.1
Longueur: 31.5 cm - largeur: 27 cm - hauteur: 23 cm
Matière (s) : terre crue, fibres végétales, papier, grains de silice, bois, peinture
Technique (s) : modelage, taillage, assemblage
Don de monsieur Jean Guiart

Cette œuvre est une reconstitution d’une scène de pilou, danse ritualisée exécutée lors de cérémonies coutumières kanak. Elle fait partie de ces objets sortis tout droit des ateliers du bagne regroupés aujourd’hui sous l’appellation « chefs-d’œuvre du bagne » ou « art du bagne ». 

Par décret, Napoléon III décide d’installer un bagne en Nouvelle-Calédonie, devenue possession française le 24 septembre 1853, en remplacement de celui installé quelques années auparavant en Guyane. Ils seront plus de 20 000 bagnards composés de transportés pour la plupart, de relégués et de déportés, entre 1863 et 1894, date à laquelle le convoi de condamnés sera définitivement arrêté. L’Administration pénitentiaire installe le pénitencier principal à l’île Nou où la plupart des bagnards effectueront leur peine et d’autres centres pénitentiaires dans d’autres endroits en Nouvelle-Calédonie (île des Pins, la presqu’île de Ducos, Prony, la Ouaménie, La Foa, Bourail, Pouembout, le Diahot,….). 

Outre la réalisation des routes et des bâtiments de la coloniale, les transportés confectionnaient en dehors des heures de travaux forcés différents types d’objets « souvenirs » : statuettes et scènes modelées, nacres et trocas gravés, noix de cocos sculptées, dioramas, boîtes à tabac en bois, pipes décorées,… Ils fabriquaient aussi des meubles en bois : bibliothèques, tables, chaises,... Tout cela était destiné à la vente. Dès le 28 mai 1863, une boutique de souvenirs a été ouverte à l’île Nou pour vendre la « camelote » des bagnards, surnom donné communément par les forçats et l’Administration pénitentiaire à cette production. Cette initiative sera très vite interrompue mais les bagnards ont continué à vendre clandestinement par le biais des libérés ou de certains des surveillants pénitenciers jusqu’à sa légalisation en 1886. Les quelques deniers qu’ils se procuraient en vendant ces « camelotes » leur permettaient d’améliorer leur ration alimentaire quotidienne.

Les productions artistiques des bagnards sont aujourd’hui des témoins de la vie de ces populations forcées de s’établir pour la plupart en Nouvelle-Calédonie, au même titre que les bâtiments qui les ont accueillis, devenus des vestiges de ce passé. Depuis trois ans, l’association Témoignage d’un passé, chargée du futur musée du bagne à Nouville, a commencé un inventaire des objets du bagne de Nouvelle-Calédonie. Le musée de Nouvelle-Calédonie possède dans ses collections quelques spécimens :

  • 4 statuettes d’homme kanak
  • 3 statuettes de femme kanak
  • 2 pots à tabac
  • 1 pipe en terre cuite
  • 1 massue kanak resculptée
  • 2 dioramas
  • 2 nautiles gravés d’un portrait
  • 1 huître perlière gravée
  • 1 troca gravé
  • 1 noix de coco gravée.

Nous ne savons pas quand est-ce que cet objet a été confectionné, ni le nom du condamné qui l’a réalisé. Les matières utilisées principalement pour sa confection sont la terre crue, des fibres végétales, du papier, des grains de silice ainsi que du bois. Quelques attributs en bois sont portés par les personnages, tandis que des tiges de métal permettent le maintien vertical des statuettes sur la planchette. L’artisan n’a certainement jamais assisté à une scène de pilou, comme la plupart d’entre eux, étant donné leur condition. Ils s’inspiraient des photographies et des reproductions de gravures fournies par l’Administration pénitentiaire.

Atelier du bagne ©Archives de Nouvelle-Calédonie

Cette représentation artistique met en évidence la danse traditionnelle kanak dite sacrée des gens de la Grande Terre. Elle met en scène dix personnages masculins dont deux manquent, dansant autour d’un mât de danse à visage sculpté, au pied duquel, trois femmes en position assise semblent rythmer à l’aide de battoirs en écorce la cadence du pilou. Ceci est une mauvaise représentation d’une scène de pilou dans la mesure où ce type de mât de danse n’est pas courant dans les mœurs des gens du pays. Celui-ci est assez grossier. La plupart des mâts ou « corps » de danse sont faits d’un bois très dur (gaïac, bois de fer,…) à branches sur lequel sont attachés des morceaux de tapa, de la paille ou parfois des conques.

 

Pilou de Monéo. Coll. Archives de la NC

 

Le pilou est le summum de tout acte cérémoniel dans la société traditionnelle kanak. Cette danse qui lie le monde des vivants à celui des morts, est  un moment solennel contracté par deux clans rivaux dans lequel ils scellent définitivement leur alliance. C’est l’occasion pour les chefs de donner leurs bons conseils et d’avertir ceux qui auraient de mauvais comportements tout en préservant l’unité des clans.

Le pilou se produit pendant toute une nuit pour prendre fin à la première lueur du jour et est scandé par les discours généalogiques, les  chants traditionnels aé aé, les incantations et divers échanges de paroles. Les participants s’échangent  aussi leurs produits de parures et d’ornements  ainsi que leurs armes (lances, arcs et flèches,…) qu’ils apportent pour cet événement festif et heureux.