"Kiripuranji, Art contemporain des îles Tiwi, Australie"

Les expositions temporaires
Kiripuranji, exposition d’art contemporain en provenance des Iles Tiwi, sera présentée du 14 octobre au 10 novembre 2002 dans la salle d’exposition temporaire du Musée de Nouvelle-Calédonie. Kiripuranji rassemble 27 pièces réalisées sur une grande variété de supports (toile, papier, écorce, bois) par des artistes tiwi qui sont surtout connus, au plan international, pour leurs poteaux funéraires peints et sculptés.

Organisée à l’initiative du Ministère australien des Affaires Etrangères et du Commerce avec l’aide de Art Bank, l’exposition Kiripuranji s’est concrétisée, en Nouvelle-Calédonie, dans le cadre d’un partenariat entre le Consulat Général d’Australie et le Musée de Nouvelle-Calédonie.

Kiripuranji est une exposition itinérante qui a été inaugurée le 8 juillet 2002 à Canberra, dans le cadre du NAIDOC (National Aboriginal and Islander Day of Observance Committee) qui célèbre chaque année la culture aborigène et insulaire australienne. La Nouvelle-Calédonie a la chance de figurer parmi les premières escales de cette exposition qui fera le tour du monde jusqu’en 2005 à travers le réseau diplomatique australien.

LES ILES TIWI

Partie intégrante de l’Australie, les Iles Tiwi - Bathurst et Melville – sont situées au large de Darwin, à environ 100 kilomètres de la capitale du Territoire du Nord.  Elles sont séparées de la terre ferme par le détroit de Dundas et l’une de l’autre par le détroit de Apsley. Les îles sont considérées comme une terre aborigène et les questions foncières y sont gérées par le « Tiwi Land Council ». Les populations ont développé depuis plus d’un millénaire leur propre langue qui n’a pas d’équivalent parmi les autres langues aborigènes de la grande terre. Le mot Tiwi signifie d’ailleurs « Nous, Peuple » et remonte à la période de pré-contact avec le monde extérieur.

Selon la mythologie tiwi, ces îles sont apparues pendant l’ère Palaneri qui a précédé toute existence, alors que la terre était plate et plongée dans l’obscurité. C’est à ce moment-là que Murtankala, une vieille femme aveugle, sortit de terre à Murupianga, au sud-est de l’île de Melville. Elle portait sur son dos un panier en écorce (tunga) dans lequel se trouvaient ses trois enfants. La vieille femme se mit à ramper vers le nord à la recherche de nourriture, et la trace laissée par son déplacement devint le chenal du détroit de Clarence et de Dundas, donnant naissance à un seul gros bloc insulaire. Après en avoir fait le tour, elle décida que l’île était trop étendue et créa le détroit de Apsley qui sépare aujourd’hui Bathurst de Melville. Elle introduisit des animaux sur les deux îles qu’elle couvrit ensuite de végétation afin que ses enfants puissent se nourrir. Puis elle disparut vers le sud sans laisser de trace.

Ce que Murtankala a laissé derrière elle est un véritable paradis, une terre arborée couverte de différentes variétés d’eucalyptus, de palmiers et de pandanus. Cette nature exubérante offre une grande quantité d’aliments comestibles (ce que les Aborigènes nomment des « Bush tucker », yinkiti dans la langue tiwi) tels que des prunes sauvages, des noix de coco, des pommes broussardes, des ignames.

Melville et Bathurst abritent de nombreux oiseaux et animaux de toutes sortes. Les eaux du littoral regorgent de crocodiles, pastenagues, raies manta, requins et méduses venimeuses. La pêche et la chasse sont toutefois des activités appréciées des populations qui complètent leur alimentation de base avec des huîtres, des serpents, des opossums, des buffles et des wallabies. Les mangroves, que l’on trouve dans les estuaires des deux îles, sont particulièrement riches en moules, coques, crabes, barramundis et autres poissons, et l’on y trouve également des vers, appelés yuwuli, que l’on déniche en creusant la boue.

La culture du peuple tiwi, qui baigne dans un environnement généreux, reste encore aujourd’hui en prise directe avec la terre et les mythes fondateurs de la période Palaneri. Pour les Tiwi, culture contemporaine et culture traditionnelle ne sont pas antinomiques. Comme c’est le cas pour la plupart des Aborigènes, la terre et le passé entretiennent une relation complexe et déterminante pour leur existence présente. Une relation qui leur permet d’assurer la survie de leur culture.

LES TECHNIQUES DE PEINTURE TIWI

La majorité des créations artistiques se fait en partant d’un fond noir qui représente la couleur de peau des populations tiwi. Il s’agit également d’un lien symbolique fort avec les peintures réalisées traditionnellement à même la peau. Mis à part le noir, les autres couleurs de la palette tiwi traditionnelle sont le blanc, le jaune et le rouge.

Le noir est généralement produit à partir du charbon, la technique consistant le plus souvent à noircir directement les poteaux sculptés en les plongeant dans les flammes. Le blanc provient d’une argile locale, le jaune est obtenu à partir de l’oxyde de fer et le rouge en chauffant de l’ocre jaune jusqu’à ce qu’il s’oxyde. Ces pigments naturels, ou ocres, sont ensuite réduits en fine poudre et mélangés avec de la colle pour rendre la teinte homogène et lui permettre d’adhérer aux surfaces à peindre. La sève de l’orchidée, la cire d’abeille ou le jaune des œufs de tortues sont des fixateurs traditionnels.

De nos jours, certains artistes préfèrent utiliser l’acrylique, tandis que d’autres préparent des mélanges à base d’ocres naturelles pour produire des couleurs originales allant du gris bleu au pourpre et au vert. Il est toutefois indispensable d’obtenir l’accord des Vieux pour procéder à des mélanges d’ocres et les artistes de Jilamara ont choisi de continuer à peindre avec les quatre couleurs traditionnelles sans les mélanger.

Les ocres et la peinture sont appliquées sur le papier, la toile, le bois ou l’écorce en utilisant n’importe quel ustensile, du pinceau que l’on trouve dans le commerce à la brosse traditionnelle fabriquée avec des feuilles de pandanus mâchées (marlipinyi). Un petit nombre d’artistes continue également à peindre en utilisant le kayimwagakimi, un peigne en bois de fer utilisé pour faire des lignes ou des points sur les poteaux et l’écorce, ou pour la peinture des corps.

Le motif de base utilisé à des fins décoratives, que les artistes appellent mulypinyini amintiya pwanga (ce qui signifie « lignes et points ») forme une référence que l’on retrouve dans de nombreuses créations abstraites qui, contrairement à ce qu’on observe chez les Aborigènes de la Grande Terre, ne sont pas porteurs d’un symbolisme particulier. Les motifs sont parfois utilisés en combinaison avec des images d’objets rituels tels que des pamijini (bracelets), arawinikiri (lances cérémonielles), des fruits sauvages ou la représentation de certains aieux.

Les Tunga

Les tunga sont des sacs ou des paniers, fabriqués en écorce d’eucalyptus, cousus avec des nervures de pandanus et décorés avec des ocres naturelles. Conformément à la tradition, ils sont toujours utilisés dans le cadre des cérémonies Pukumani pour apporter de la nourriture et des cadeaux aux célébrants. Au terme de la cérémonie finale, des grands tunga, que l’on appelle Yimawilini, sont utilisés pour recouvrir l’extrémité des poteaux Tutini afin que ceux qui sont décédés puissent rejoindre en toute quiétude le monde des Esprits sans s’attarder dans celui des Vivants.

La production d’écorce pour les tunga est saisonnière, et se déroule pendant la saison humide, c'est-à-dire de décembre à avril. C’est à ce moment-là que l’écorce est la plus souple et que l’on peut la retirer facilement du tronc. Après l’avoir découpée avec une hache, l’écorce est retirée, taillée proprement et mise à tremper avant d’être séchée pendant un jour ou deux. Présentée devant un feu, la feuille d’écorce est pliée en deux et cousue avec des nervures de palmiers. Les trous sont réalisés à l’aide d’os de wallabies utilisés comme des poinçons. Les tunga ne sont décorés qu’avec des ocres traditionnelles.

KULAMA, UN HOMMAGE A LA VIE

Kulama (la cérémonie de l’igname) constitue, après Pukumani, le second rituel important qui rythme la vie des Iles Tiwi. Kulama, qui célèbre la vie, le renouveau et la prospérité, se déroule chaque année vers la fin de la saison humide, quand la lune est entourée d’un anneau d’or. C’est à cette période que Japara, l’homme-lune célèbre Kulama, à l’unisson avec les hommes-étoiles qui chantent et dansent.

Au commencement des temps (Palaneri), quand tous les animaux et oiseaux étaient encore les ancestres des hommes et des femmes, Purutjikini, un homme-hibou et sa femme Pintoma, ont célébré la première cérémonie Kulama. L’aigle à tête blanche Jirakati fut le premier initié et sa peinture cérémonielle est toujours visible aujourd’hui sur ses tâches.

La préparation de l’igname Kulama est une étape essentielle de la cérémonie. Cette igname particulière est une racine comestible de forme ronde que l’on trouve dans les forêts tropicales de l’île. Elle est hautement toxique si elle n’est pas préparée dans les règles de l’art. Pendant la préparation, qui consiste, entre autre, à faire tremper l’igname dans de l’eau douce, un four est creusé à même le sol en repoussant le sable et l’herbe du centre de l’espace cérémoniel vers les côtés.

Des brindilles sèches sont disposées autour du four et un feu à base de branches, d’herbe et de morceaux de termitières écrasées est allumé. Lorsque le feu a fini de se consumer, le four est prêt à recevoir les ignames qui sont recouvertes d’écorces, puis de sable. Les ignames ne sont consommées qu’à compter du 3e jour, une mesure censée assurer une bonne santé à tous les participants jusqu’à la cérémonie suivante.

L’initiation occupait traditionnellement une place importante dans la cérémonie Kulama, mais aujourd’hui, elle ne fait plus partie de la struture sociale des Iles Tiwi. De nouveaux chants et de nouvelles danses sont toujours présentés pendant Kulama et la peinture du corps, le chant et la danse restent des activités très prisées. C’est pendant Kulama que les noms de famille sont donnés aux enfants et que la relation entre les vivants et les morts est célébrée.

Des cercles concentriques apparaissent souvent comme l’élément contemporain dans les motifs tiwi. Ils représentent le cercle de Kulama – très exactement l’espace circulaire cérémoniel – et sont devenus la représentation symbolique de la spiritualité tiwi. Pukumani et Kulama forment à elles deux les bases de la vie culturelle tiwi.

Les bracelets cérémoniels ou Pamajini

Les bracelets cérémoniels ou pamajini sont portés aussi bien pour Pukumani que pour Kulama. Les pamajini sont fabriqués à partir de la racine du palétuvier ou tissés avec des feuilles de pandanus. Ils sont décorés avec des plumes de cacatoès – auxquels on prête la vertu de guider les esprits perdus sur le chemin de l’île aux morts – attachés avec de la ficelle végétale et de la cire d’abeille et quelquefois des baies rouges. Ils peuvent également être peints avec des ocres naturelles.  Les pamajini, sont portés autour des avant-bras tandis que les tapalingini, plus grands et ornées de plumes, sont portés autour du front.

LA CEREMONIE PUKUMANI

La culture du peuple tiwi puise sa vitalité dans le lien qui la rattache aux mythes de la création issus d’une période originelle dénommée Palaneri. Ce lien complexe entre la vie sur les îles d’aujourd’hui et les traditions culturelles d’hier constitue le fondement de l’identité tiwi, tant au niveau de la population qu’au niveau de la pratique artistique.

Les cérémonies qui célèbrent le passé et influencent la vie quotidienne sont des sources d’inspiration artistique majeures que l’on retrouve dans les créations tiwi. La plupart des motifs dérivent de ceux utilisés pour la peinture des corps, une activité cérémonielle appelé Jilamara, que l’on pourrait traduire par « créativité ». Jilamara constitue l’une des activités centrales de la cérémonie Pukumani qui regroupe l’ensemble des rituels liés aux funérailles et au deuil.   

Le peuple tiwi perpétue la cérémonie Pukumani depuis la mort de l’ancêtre Purrukuparli.  Pukumani permet à la population de se réunir pour pleurer un défunt, fabriquer des objets et composer des chants destinés à rendre hommage au disparu. Les règles qui régissent Pukumani ont été enseignées au peuple tiwi par Tokampini, l’homme-oiseau.

Iliana (une cérémonie mineure) se déroule généralement au moment du décès. Puis, quelques mois plus tard a lieu Pukumani, dont le point culminant est constitué par l’érection d’un Tutini. Les proches du défunt sont chargés de la gravure de ces poteaux totemiques mortuaires de grande taille qui sont réalisés dans un bois dur (Eucalypus chlorosachys). Réalisés auparavant à l’aide de haches en pierre, les motifs sont obtenus aujourd’hui à l’aide d’outils électriques. Fruit de plusieurs mois de travail, la gravure doit être d’une qualité de nature à impressionner l’esprit du disparu. Pendant la cérémonie, les poteaux, qui symbolisent le statut social et le prestige du défunt, sont placés autour de l’endroit de la mise en terre. Les Tutini gravés ont été produits à partir des années 1950 pour un public de collectionneurs extérieurs aux Iles Tiwi.

Considérée comme la cérémonie la plus importante du monde des vivants, Pukumani se déroule approximativement six mois après l’enterrement. Selon la tradition tiwi, l’existence de chacun dans le monde des vivants ne se termine qu’avec la clôture de Pukumani, même si le Mobiditi (l’esprit du mort) est libéré au moment de la mort. Pukumani permet en effet de s’assurer que le Mobiditi quitte bien le monde des vivants pour celui des morts.

Pukumani permet au peuple tiwi de donner libre cours à son chagrin. La cérémonie  procure également à la communauté la possibilité de s’exprimer au plan culturel et artistique à travers le chant, la danse, la sculpture et la peinture des corps. Les participants sont peints avec des ocres naturelles, arborent différents motifs et utilisent des accessoires, comme par exemple des fausses barbes, afin de se déguiser pour que l’esprit du défunt ne puisse pas les reconnaître. Les participants qui sont les plus proches du défunt portent des pamajini (bracelets qui se portent autour du bras) pendant la cérémonie.

Une série de danses (Yoi) émaille Pukumani : certaines sont totémiques et se rapportent à des clans. D’autres correspondent à la narration de chants nouvellement créés. D’autres enfin ne peuvent être exécutées que par certains membres de la famille. Une fois que Amburu (danse de la mort) a été interprétée et que la cérémonie est totalement achevée, le site est déserté et les poteaux abandonnés à la brousse pour qu’ils y pourrissent.

TEXTILES ET CERAMIQUES

1.         L’aventure Tiwi Design

La société Tiwi Design a été créée en 1969 et elle est, de fait, l’une des premières structures qui ont administré un centre culture aborigène en Australie. A ses débuts, elle était installée, de façon sommaire, dans une petite pièce du presbytère catholique de Nguiu, dans le sud-est de l’île de Bathurst. Une enseignante, Madeline Clear, qui cherchait alors à développer de nouvelles formes d’expression pour les artistes locaux, avait introduit la gravure sur bois dans la mesure où cette technique lui semblait bien correspondre à la tradition de sculpture sur bois du peuple tiwi.

Bede Tungatalum et Giovanni Tipungwuti, deux jeunes artistes, adoptaient rapidement cette technique et au bout d’une année, ils décidaient de s’essayer à la sérigraphie. Leur but était de produire des motifs qui puissent péréniser la culture tiwi tout en s’adaptant aux exigences modernes de production. Les premiers textiles connurent un succès immédiat et Tiwi Design était né.

Depuis lors, les textiles des Iles Tiwi sont connus dans le monde entier à travers Tiwi Design et Bima Wear, une entreprise de vêtements. En novembre 1986, des artistes issus des deux sociétés se sont associés pour créer les vêtements sacerdotaux et la tenue des membres de la chorale qui s’est produite à l’occasion de la venue du Pape Jean-Paul II à Darwin. Les motifs combinaient à la fois les symboles de la papauté et ceux des Iles Tiwi.

Chez Tiwi Design, l’atelier comporte trois tables de 13 mètres de long afin de permettre le travail à la main. L’atelier est sous la responsabilité d’Osmond Kantilla, un maître imprimeur qui a une expérience professionnelle de plus de vingt ans. Kantilla supervise le transfert des créations originales sur les matrices et gère la production des tissus fait main.

Après avoir préparé les pochoirs, les artistes de Tiwi Design transfèrent leurs créations originales sur une toile de soie. Ce transfert de motifs complexes sur une grande toile constitue une opération délicate qui peut prendre jusqu’à une semaine. Parfois ces nouvelles images sont des traductions de motifs empruntés à d’autres supports ou à d’autres artistes afin de perpétuer une certaine tradition. Les motifs sont ensuite imprimés sur des tee-shirts, sarongs, écharpes et autres types de vêtements ou de tissus qui finissent portés fièrement aux Iles Tiwi et bien au-delà.

2.         Les céramiques

Les artistes tiwi sont également reconnus pour leur talent dans le domaine des céramiques. Aucune céramique n’est malheureusement présentée dans le cadre de Kiripuranji car ces pièces sont trop fragiles pour être transportées en toute sécurité. Eddie Puruntatameri et John Bosco Tipiloura, deux artistes de renom, ont établi le premier atelier de céramique (Tiwi Pottery) sur l’île de Bathurst en 1972. Aujourd’hui, Tiwi Pottery est toujours en activité et s’est intégré à l’entreprise Tiwi Design. Des céramiques sont aussi produites par Pirlangimpi Pottery, qui fait partie de l’association d’art et d’artisanant Munupi de l’île de Melville.

Ces poteries et ces sculptures en céramique sont réalisées à partir de motifs abstraits utilisés sur d’autres supports. On y trouve aussi, de plus en plus souvent, des motifs plus figuratifs s’inspirant de la vie traditionnelle et contemporaine aux Iles Tiwi.